Le  PETIT  JOURNAL  de l’A.P.S.M N° 2 – 090630 L’histoire de la Fromagerie Michel GERARD Qui d’entre nous, amoureux comme nous le sommes tous de cette magnifique forêt de Réno n’a pas un jour emprunté le GR22, ce sentier de grande randonnée qui relie Paris au Mont Saint Michel, et traverse notre commune, depuis la Gautrie, au nord jusqu’à la Renardière au Sud ? Eh bien le long de ce sentier en corniche à la lisière Ouest de la forêt, ce promeneur est passé au travers des restes d’un ancien hameau vieux de plus de 3 siècles constitué d’une demi-douzaine de maisons et dont il ne reste aujourd’hui que la maison appelée « la Fromagerie ». Pourquoi ce nom, alors que de mémoire de Saint Mardais, rien n’explique cette dénomination ? Il a fallu toute la sagacité de l’historien Eric Yvard, pour nous livrer ce secret ; si à la Fromagerie, on faisait du fromage, probablement du fromage de chèvres, cela n’a pu exister qu’avant l’interdiction vers 1350, faite par Marie d’Espagne, veuve de Charles II et Comte du Perche, de laisser les chèvres paître dans les forêts du Perche, car elles abîmaient beaucoup les jeunes pousses ; à cette époque la « Fromagerie » dépendait de la seigneurie de la Frette et était louée par une famille Veron ; et un certain Jean Veron, religieux au Valdieu, a des droits sur une portion de la « Fromagerie » comme l’atteste un titre déposé au trésor du Valdieu du 21 Septembre 1507 ; un autre de ces vieux titres du Valdieu du 12 Mai 1614 cite un Marin Robion sabotier, qui toujours à propos de la Fromagerie verse une rente de 4 boisseaux et demi. Cette famille Robion prospère si bien, qu’entre 1643 et 1750, elle rachète toutes les terres de la Fromagerie ; le 8 Mai 1768 un acte de partage entre les 4 petits fils Desavis d’une certaine Marie Robion, nous donne la première description du bâtiment actuel de la Fromagerie, accompagné d’une sorte de règlement de copropriété assez pittoresque que je traduirais ainsi : « à charge par le présent lot de partager le passage des 2 portes, celle de la maison et celle de l’étable avec le second lot, pour meubles et bestiaux de toutes espèces, aussi bien la nuit que le jour étant convenu que le four sera commun et entretenu à frais communs, les uns et les autres ayant pareillement le droit de cuire et de sécher aussi du chanvre, pour le broyer plus facilement, aussi bien la nuit que le jour ». Toujours devant le notaire de Saint-Mard-de-Reno, le 6 Septembre 1779, Pierre Robion marchand et facteur de bois à la Braiserie, fait le partage entre ses 3 filles de bâtiments et de nombreuses petites parcelles de terre, imbriquées entre elles et composant la Fromagerie ; beaucoup de noms de propriétaires mitoyens sont cités : les héritiers Picard et Jean Esnault, Jacques Cottin, Charles Grenet, Alexandre Courapied, Gilles Pigeard, la Charité de St Mard de Reno (c’est-à-dire nos fameux Charitons …), « les messieurs du Valdieu », Monsieur de Chevigné, Jean Durand, etc … Parmi ces personnes citées, nombre d’entre elles habitaient les maisons qui composaient alors ce hameau, construit en lisière de forêt et dont on va enfin avoir le premier plan avec le relevé cartographique des bords de la forêt de Reno que fît effectuer de 1780 à 1782 le Comte de Provence, Monsieur, Frère du Roi Louis XVI et futur Louis XVIII ; en effet, la vie à Versailles coûtant cher, il eût besoin de faire couper du bois et ne voulait pas empiéter sur les propriétés privées des petites gens, qui depuis fort longtemps avaient grignoté le bord du massif forestier. Sur ce plan, il ne resterait plus alors, à la fin du 18e siècle que 3 maisons principales, mais au cadastre de 1831, soit 50 ans plus tard, l’actuel bâtiment de la Fromagerie a reçu une aile et surtout ce plan fait mention de 8 maisons et d’un four commun ; je pense que certaines maisons, au moins 2 d’entre elles situées à l’Ouest du sentier en contrebas existaient en 1780 mais, vu leur situation excentrée par rapport à la forêt, n’avaient pas fait l’objet du relevé royal. Bref en l’an X, à la Fromagerie, un premier recensement comptait  10 habitants et       6 maisons différentes, donc 6 foyers ; ultérieurement, en 1846, on recense 9 foyers et de nouveaux noms apparaissent : Jean Mezerette taupier, François Picard sabotier, Michel Herlin journalier, Louis Mery fendeur de bois, Madeleine Hautemule et cela au recensement de 1846 ; en 1856 apparaissent notamment à la Fromagerie : François Félix Renault sabotier, Jacques Mongreville journalier et Adolphe Lhermusier scieur de long, Marie Philippe Veuve Gauthier fileuse ; en 1876 Célestin Lhermitte, Désiré Ronsin bûcherons, Louis Diot propriétaire ; en 1901 on voit apparaître Alphonse Evrard bucheron ; passons à 1926 : les habitants de la Fromagerie n’étaient plus que 3 et se nommaient Louis Bry sabotier, Gustave Cottin bûcheron et Veuve Celestin Lhermusier. C’est ainsi qu’avant la seconde guerre mondiale il n’y a plus qu’une seule maison habitable au lieu dit La Fromagerie, celle de la famille Evrard-Lhermusier ; toutes les autres ont disparu entre la fin du XIXème siècle et 1936 ; quand je travaille la terre du jardin, je relève souvent avec émotion des débris de tuiles et de poteries qui ressortent à la surface ; avec un vieux pignon écroulé dans la forêt et quelques vestiges de ce qui a dû être ce four commun mentionné en 1768, voilà ce qui reste visiblement de toutes ces vies laborieuses ; heureusement, toujours debout, il y a notre maison, restaurée le plus possible dans ses matériaux anciens et entretenue avec amour à la mémoire de tout ce passé qui, loin de briller de hauts faits seigneuriaux, en est d’autant plus émouvant et digne du plus grand respect. Pour communier encore plus à ce passé, j’ouvre souvent ce livre étonnant, maintenant paru en livre de poche « Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot » d’Alain Corbin – Ed. Champs-Flammarion n°504 ; c’est l’histoire, oh combien touchante, vraie, approfondie, détaillée d’un sabotier qui a vécu de 1798 à 1876 à Origny le Butin, en lisière de la forêt de Bellême, exactement comme on vivait à la Fromagerie, en forêt de Reno, il y a seulement 4 ou 5 générations.